Qu'est-ce que l'anthropomorphisme ?
L’anthropomorphisme est un mécanisme très souvent à l’œuvre dans les perceptions erronées que nous avons du chat, et par extension dans les qualificatifs que nous utilisons pour désigner certains comportements.
Il me paraît donc important de définir cette notion pour parvenir à une meilleure compréhension de notre rapport au chat (et, de manière générale, à tous les animaux non-humains).
Définition
L’anthropomorphisme consiste en l’attribution de caractéristiques humaines à des entités non humaines telles que les animaux, les plantes ou encore les objets. En l’occurrence, nous faisons preuve d’anthropomorphisme lorsque nous interprétons les comportements de notre chat en lui attribuant des sentiments, des intentions ou encore des états mentaux humains.[1]
Cette tendance à l’anthropomorphisme touche particulièrement les animaux pour lesquels nous ressentirions une sorte d’attirance naturelle.[2]
Mécanismes
Les mécanismes nous poussant à l’anthropomorphisme ont été étudiés, notamment dans le domaine de la psychologie, et résideraient dans des facteurs motivationnels que sont :
- L’induction de connaissances chez autrui : Il s’agit d’une économie cognitive reposant sur l’accessibilité et l’applicabilité de connaissances anthropocentrées. Les représentations de ces connaissances accessibles et applicables motivent les individus à les inférer à des agents non-humains.
- La motivation d’efficacité : C’est la volonté de réduire l’incertitude concernant le fonctionnement d’éléments différents, complexes ou non familiers. Elle pousse les individus à vouloir en expliquer et en comprendre le fonctionnement, dans une recherche de sens, avec pour motivation de développer un sentiment d’interaction efficace avec eux.
- La motivation de socialité : Il s’agit d’un désir de contact social et d’affiliation. L’être humain étant une espèce sociale, sa nature est de rechercher un contact affectif plus ou moins important avec des congénères. Lorsque ce besoin n’est pas comblé, dans des cas d’isolement social par exemple, le recours à l’anthropomorphisme permet de compenser ce manque.
L’anthropomorphisme reposerait donc sur ces trois mécanismes motivationnels[3] principalement guidés par des processus complexes et automatiques relevant de la cognition sociale.[4]
L'anthropomorphisme "positif"
Les humains et les chats, en tant qu’êtres sensibles, partagent certaines compétences émotionnelles et cognitives. Faire preuve d’une certaine forme d’anthropomorphisme permet en ce sens d’avoir une vision plus empathique et plus attentive à leurs intérêts, en nous « mettant à leur place, »[5] à condition de ne jamais perdre de vue les différences fondamentales qui nous composent.
En effet, notre fonctionnement interne d’humain est régi par certains processus psychiques complexes qui ne peuvent scientifiquement être attribués aux chats. Le chat tend à vivre selon ses ressentis, ses besoins et ses émotions, et à s’y adapter en fonction des apprentissages qu’il en fait.
L'anthropomorphisme "négatif"
Ainsi, une interprétation exclusivement anthropomorphique des comportements animaux est préjudiciable,[6] d’autant qu’elle repose presque toujours sur des intuitions scientifiquement erronées.[7]
L’anthropomorphisme mal placé peut en effet nous amener à soumettre le chat à certains impératifs, relatifs notamment aux règles et à la moral, qui n’ont aucune réalité pour lui.
De plus, cela peut nous pousser à ignorer et nier les véritables motivations ainsi que les besoins physiques et psychologiques du chat,[8][9] mais aussi à commettre des erreurs d’interprétation concernant ses signaux de communication.[10][11]
Conclusion
Par conséquent, même s’il est vrai que l’anthropomorphisme n’est pas totalement délétère et peut constituer un levier intéressant dans la prise en compte du bien-être du chat,[12] il doit être bien utilisé et avec parcimonie.
Il faut avant tout faire preuve de compréhension dans l’appréhension des comportements félins, en utilisant des concepts correspondant à la réalité éthologique du chat nous permettant de nous placer de son point de vue.
Références
[1]Ines, M., Ricci-Bonot C. & Mills, D. (2021). My Cat and Me – A Study of Cat Owner Perceptions of Their Bond and Relationship. Animals, 11(6), 1601. DOI : 10.3390/ani11061601.
[2]Wilson, E. O. (1984). Biophilia and the Conservation Ethic. In D. J. Penn & I. Mysterud (Eds). Evolutionnary Perspectives on Environmental Problems. New-York : Routledge. eBook ISBN : 9780203792650.
[3]Epley, N., Waytz, A., & Cacioppo, J. T. (2007). On seeing human: A three-factor theory of anthropomorphism. Psychological Review, 114(4), 864–886. DOI : 10.1037/0033-295X.114.4.864.
[4]Urquiza-Haas, E. G. & Kotrschal, K. (2015). The mind behind anthropomorphic thinking: Attribution of mental states to other species. Animal Behaviour, 109, 167–176. DOI : 10.1016/j.anbehav.2015.08.011.
[5]Young, A., Khalil, K. A., & Wharton, J. (2018). Empathy for animals: A review of the existing literature. Curator: The Museum Journal, 61(2), 327-343. DOI : 10.1111/cura.12257.
[6]Mota-Rojas, D., Mariti, C., Zdeinert, A., Riggio, G., Mora-Medina, .P, del Mar Reyes, A., Gazzano, A., Domínguez-Oliva, A., Lezama-García, K., José-Pérez, N. & Hernández-Ávalos, I. (2021). Anthropomorphism and Its Adverse Effects on the Distress and Welfare of Companion Animals. Animals, 11(11), 3263. DOI : 10.3390/ani11113263.
[7]Sueur, C., Forin-Wiart, M. & Pelé, M. (2020). Do They Really Try to Save Their Buddy? Anthropomorphism about Animal Epimeletic Behaviours. Animals, 10(12), 2323. DOI : 10.3390/ani10122323.
[8]Finka, L. R., et al. (2022) Investigation of humans individual differences as predictors of their animal interaction styles, focused on the domestic cat. Scientific Reports, 12(1), 121-128. DOI : 10.1038/s41598-022-15194-7.
[9]Bouma, E. M. C., Reijgwart, M. L. & Dijkstra, A. (2022). Family Member, Best Friend, Child or ‘Just’ a Pet, Owners’ Relationship Perceptions and Consequences for Their Cats. International Journal of Environmental Research and Public Health, 19(1), 193. DOI: 10.3390/ijerph19010193.
[10]Ellis, S., Swindell, V., & Burman, O., (2015). Human classification of context-related vocalizations emitted by familiar and unfamiliar domestic cats: an exploratory study. Anthrozoös, 28(4), 625-634. DOI : 10.1080/08927936.2015.1070005.
[11]Dawson, L., Niel, L., Cheal, J. & Mason, G. (2019) Humans can identify cats’ affective states from subtle facial expressions. Animal Welfare, 28(4), 519–531. DOI: 10.7120/09627286.28.4.519.
[12]Prato-Previde, E., Basso Ricci, E. & Colombo, E.S. (2022). The Complexity of the Human–Animal Bond: Empathy, Attachment and Anthropomorphism in Human– Animal Relationships and Animal Hoarding. Animals, 12, 2835. DOI : 10.3390/ani12202835.